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P comme Prunus Serotina

En voilà un nom barbare.

Je vous présente donc cette belle plante d’ornement, le “Prunus Serotina” de son nom scientifique et “Cerisier tardif” ou “noir” ou “d’automne” de son nom vernaculaire.

Infloresences au printemps ….

Cet arbuste exotique nous vient d’Amérique du Nord où il est largement présent dans tout l’est du pays.

Si vous voulez en mettre dans votre jardin, les graines sont en vente libre. Mais, avant de le faire, sachez qu’il y a deux siècles il n’en existait pas un seul plant en forêt de Compiègne et qu’aujourd’hui il en couvre plus de 80% de la surface ! Toujours envie d’essayer ?

Une légende locale non confirmée raconte qu’il aurait été planté dans une des Faisanderies de Napoléon III pour servir de couvert et de garde-manger aux perdrix et faisons destinés à la chasse (voir F comme Faisanderie page …), mais l’une des très fâcheuses qualités de cette espèce est d’abord sa capacité de déploiement exponentielle.

C’est donc un prédateur forestier, oui encore un, nous les collectionnons ici.

D’autant que ce n’est pas son seul défaut.

Infrutescences en 08/2019

Le Prunus fait des fruits rouges ou noirs, à l’allure appétissante mais ils sont très âpres et pas agréables pour l’alimentation des mammifères. Les feuilles sont toxiques et donc concentrent l’attention sur les fruits dont l’apparence suffit à attirer l’œil des oiseaux pour qu’ils soient emportés et colportés.

Portées par les oiseaux et la digestion de quelques animaux, les graines germent facilement dans le sol pauvre mais surtout le mieux exposé à la lumière, ce qui est le facteur essentiel à la bonne croissance de ce végétal très efficace, à tel point que l’on ne les remarque plus.

Deux autres caractéristiques biologiques de l’espèce l’adaptent très bien au terrain compiégnois :

  • la lumière est vitale pour lui. Il ne croit pas à l’ombre des futaies mais se régale dans les parcelles rasées sans aucun obstacle. Les individus isolés que l’on voit dans les parcelles ombragées peuvent ainsi rester plusieurs années en attente d’une « éclaircie » de coupe ou de chute d’arbre avant de se reproduire sans fin.
  • ses racines ne plongent pas dans le sol et se diffusent latéralement à moins de 50 centimètres de profondeur. Dans le sol sableux et donc meuble des coupes rases, en plein soleil, son expansion est exceptionnellement rapide. Et, en bonus, grâce à cela, ses racines ne rencontrent jamais la larve vorace du hanneton qui pour sa part reste à environ un mètre de profondeur de pendant plus de trois ans pour ne rien faire d’autre que de manger des racines des feuillus qui elles plongent pour stabiliser la partie arienne de l’arbre en croissance (traité à la lettre H pour Hanneton).

En FDC donc, les centaines d’hectares ouverts à la lumière par les tempêtes et les coupes rases lui ont offert un terrain de jeu exceptionnel.

Et, en bonus, grâce à cela, les racines du Prunus ne rencontrent jamais la larve vorace du hanneton qui pour sa part reste entre 20 et 30 centimètres de profondeur pendant plus de trois ans pour ne rien faire d’autre que de manger des racines et grossir avant de sortir et de s’envoler. (traité à la lettre H pour Hanneton)

Et donc, dans les parcelles rasées, le Prunus est au paradis ! Il a le sol parfait, les graines y germent très facilement et s’y développent à l’horizontale et à la verticale en seulement 2 à 3 ans, en créant un taillis dense qui prive de lumière par ses larges feuilles opaques tous les autres plants, en particulier plantés de la main du forestier.

Si la parcelle est engrillagée, c’est encore plus efficace puisque les mammifères fouisseurs, essentiellement les sangliers, n’y rentreront pas, à la recherche des jeunes plants et des larves de hannetons dont ils peuvent être friands.

Et on se retrouve avec des parcelles entières abandonnées à cette jungle impénétrable.

Il a fallu attendre 1970 pour que l’ONF tout nouvellement crée (rappelez-vous, en 1966) commence à constater que le Prunus faissait échouer une plantation de hêtre en coupe rase.

Aujourd’hui les exemples en sont multiples. Sans aller loin de Compiègne, il suffit de s’arrêter en voiture au Cr Adélaïde pour regarder vers Compiègne la parcelle 1322 engrillagée, totalement recouverte d’un infranchissable taillis de Prunus. De nombreuses autres parcelles sont infestées et plus aucune solution soit d’un abandon à la libre évolution, soit d’un arrachage à grand frais, souches et racines compris, pour repartir de zéro sans plus aucune garantie d’efficacité à 10 ans et plus.

Une étude scientifique a été menée de 2002 à 2003 sur la totalité du massif par une équipe de cartographes de l’UPJV d’Amiens sous le titre … la direction de Frédéric Roulier (source …)

La couleur représente un indice de contamination sur un grille de 9216 cellules de 250 m de coté (1 cm sur la carte IGN2511OT), de « 1à 6 » pour des individus isolés (strate herbacée) jusqu’à « de 25 à 30 » pour un peuplement dense (strate arborescente).

Leur a fait suite d’importantes recherches menées de 2003 à 2006 par Guillaume Decocq du Département de Botanique de l’Université Picardie Jules Verne, d’Amiens, sous le titre « Dynamique invasive du cerisier tardif » (source …)

Il y est dit :

La forêt de Compiègne (Oise) est de loin la plus envahie, avec près de 80% des parcelles où Prunus serotina est présent. Les autres forêts picardes touchées se situent à proximité de Compiègne.

Mais aussi :

Le coût minimal d’une hypothétique éradication en forêt de Compiègne serait de 48 millions d’euros (4 137 euros.ha-1), contre 387 000 euros pour l’ensemble des autres forêts de la région.

Et encore :

Les recommandations de gestion ont déjà été transmises au Conseil scientifique consultatif de l’ONF Picardie et seront prochainement rédigées pour diffusion plus large et mise en ligne. Les modèles élaborés et les simulations réalisées seront transférés aux gestionnaires forestiers, à titre d’outils d’aide à la gestion et à la mise en place d’un système de surveillance et de prévention.

Cela ayant été écrit en 2012, qu’en est-il en 2020 ?

Carte de … année. Chaque jour la situation n’a fait qu’empirer

Le Prunus Serotina fait donc partie du décor compiégnois. Tout le monde le voit mais personne n’y fait attention, car cet arbuste est agréable à l’œil.

Mais il est redoutable : c’est un envahisseur, silencieux, d’une efficacité parfaite et sans aucun prédateur.

Le Prunus adulte peut faire jusqu’à 20 mètres de haut et avoir une circonférence de plus de 20 centimètres, pas de quoi faire des planches :

Prunus Serotina en futaie, derrière la Maison Forestière de la Muette, p 3830

Mais si on le coupe sans le déraciner, c’est encore pire car il se régénérera en de multiples autres pousses :

Donc depuis qu’est connu ce danger végétal en FDC, l’ONF n’a jamais ni cherché, ni trouvé à valoriser cette ressource gigantesque, et il n’a pas non plus fait face pour tenter de contenir cet envahisseur silencieux et redoutable d’efficacité.

Une seule opération de communication a eu lieu le 29 avril 2019 dans l’avenue des Beaux Monts, financée sur le budget NATURA 2000 :

Texte du Communiqué de Presse ONF

Dans le cadre d’un contrat Natura 2000 établi sur 5 ans, une minipelle de l’entreprise Jardin Décor est venue, le 29 avril, arracher avec sa pince les Prunus serotina (cerisiers tardifs) marqués par nos équipes sur l’allée des Beaux Monts. Le but recherché est d’essayer de maitriser la présence de cette espèce envahissante en enlevant le plus possible de racines.

Entretenue depuis sa création par fauchage, mais également historiquement par pâturage, afin de maintenir la perspective, l’allée a permis l’expression de végétations herbacées ouvertes (prairies, pelouses). La géologie particulière de cette allée associée à une gestion douce depuis près de deux siècles est à l’origine d’un patrimoine écologique remarquable et original. L’allée possède ainsi des enjeux écologiques majeurs à l’échelle de la région en particulier pour la flore et les végétations.

Cette action sera suivie fin août d’une fauche tardive exportatrice sur l’intégralité de l’allée. Elle sera ensuite réalisée chaque année pendant les 5 ans du contrat (crédits de l’Union européenne dans le cadre du FEADER – fonds européen agricole pour le développement rural).

Pourtant Wikipédia nous dit : « Au Québec, parmi les espèces indigènes, c’est le bois le plus précieux. Au marché, il peut atteindre un prix très élevé (plus de quatre-vingts dollars US par tranche de 100 cm2.

Une étude québécoise de 2011 intitulée Plantation de cerisiers tardifs dans un contexte de sylviculture intensive présente même des arguments pour l’exploiter. Attention, tenez-vous bien :

L’établissement de plantations de cerisier tardif répond à la fois à des objectifs économiques (bois de grande valeur) et à des objectifs écologiques (restauration, faune).(…)  Il est aussi recommandé d’installer un système de protection contre les herbivores. La plantation en friche arbustive ou en friche forestière, de même que l’enrichissement ou la plantation en ambiance forestière nous semblent de bonnes options pour l’établissement de plantations de cerisier tardif. En plus d’être une essence de grande valeur, les fruits de cette essence sont une source d’alimentation importante pour plusieurs espèces animales. Sa valeur faunique est donc indéniable. Ainsi, l’établissement de plantations de cerisier tardif répond à la fois à des objectifs économiques (bois de grande valeur) et à des objectifs écologiques (restauration, faune).

Quant aux prédateurs que liste l’étude, ils n’existent pas chez nous, sauf le lièvre et le chevreuil, mais ce ne sont pas vraiment des espèces invasives de notre forêt, venant en forêt ponctuellement pour se mettre à l’abri des activités humaines et de la chasse sur les terres agricoles ouvertes. Nous ne pourrons pas compter sur ces espèces pour nous débarrasser du Prunus.

L’argument économique y est aussi plusieurs fois rappelé :

Seule la production de bois de haute qualité peut rentabiliser, à longue échéance, les efforts et les investissements consentis dans la culture des forêts. Le cerisier tardif a l’avantage de se démarquer des autres feuillus en raison de sa valeur économique supérieure, variant de 720 à 1 300 $ du m3.

***

De notre côté de l’océan, en 2011 pourtant, dans le cadre du programme Natura 2000, les instructions étaient claires :

« Techniques de lutte contre le Prunus serotina :

  • Coupe des arbres semenciers à 1m de la surface du sol et écorçage de la souche pour créer un « tir-sève » épuisant à terme l’arbre, associé à l’arrachage manuel des semis. Il convient d’enlever au plus vite les gros semenciers car la dissémination par les oiseaux est rapide.
  • Fraisage relativement profond (10 à 15 cm) pour éclater les racines.


Inconvénients :

  • la coupe à un mètre n’a aucun impact sur le système racinaire provoquant l’apparition de repousses nécessitant des interventions ultérieures.
  • l’arrachage manuel des semis est fastidieux et assez couteux.
  • le fraisage ne peut être mis en œuvre sur de petites surfaces et détruit l’ensemble de la végétation sans distinction.
  • l’impact du fraisage sur la structure du sol est élevé. »


Mais rien en se passe et le Prunus, dédaigné là aussi comme petit bois de chauffage, n’est pas récolté et continue de s’épaissir dans tout le massif. La plupart des parcelles rases en sont totalement recouvertes, avec une densité qui les rend impraticables. Là aussi le sol meuble et le transport des fruits rouges et noirs par les oiseaux a colporté le mal.

En 2012, ayant cette masse (non exhaustive) d’études et de données en main, l’ONF publie son PA de 2012 à 2031 pour la FDC avec le « plan d’action » suivant :

Le Prunus Serotina, espèce invasive, menace les régénérations dans cette forêt.

L’étude de sa dynamique (cf. G Decocq) conduit à penser que les essais d’éradication (arrachage, produits chimiques, coupe) ne servent pas à lutter.

Au contraire, cela amplifie la régénération du Prunus.

La solution est dans la gestion du couvert quand il existe un peuplement et pour les régénérations déjà envahies, attendre que les Prunus s’auto-inhibent (stade environ 3 mètres) pour que l’essence objectif puisse se réinstaller (ou être plantée) et suivre ensuite le peuplement en coupant progressivement les Prunus.

… Alors que tout indique qu’il ne faut surtout pas le couper !

Et donc rien ne se passe et le Prunus, dédaigné là aussi comme petit bois de chauffage, n’est pas récolté et continue de s’épaissir dans tout le massif. La plupart des parcelles rases en sont totalement recouvertes, avec une densité qui les rend impraticables. Là aussi le sol meuble et le transport des fruits rouges et noirs par les oiseaux a colporté le mal.

En soi ce végétal n’est pas néfaste, il produit des bosquets et des arbres plutôt jolis. Il capte lui aussi du carbone et fait sa photosynthèse ; mais tout cela aux dépends de la biodiversité sylvestre et de son cortège d’utilisateurs et de nourriciers (insectes, oiseaux).

Vous pouvez voir ici mon tuto prunus de juillet 2019 : https://www.facebook.com/bernar…/videos/10157414277661118/

Plus simplement, il suffirait de se mettre enfin au travail :

  • pour déraciner à la main les plantules de moins d’un mètre, dans les parcelles peu infectées où elles sont encore à l’ombre des autres essences, en veille, en attente d’une « éclaircie » sylvicole pour envahir le sol puis la strate arbustive.
  • pour ne plus créer d’ouvertures franches de la canopée, dont les conséquences vont totalement déséquilibrer le fragile écosystème forestier.

Mais si rien n’y fait. Après une dizaine d’années dans l’oubli, il a été remis en lumière par les associations de protection de l’environnement comme l’une des pires calamités des forêts de Compiègne et de Laigue (où il est aussi bien présent malgré la rivière Aisne).

Sans valeur avérée à ce jour, pas plus économique qu’écologique, le gestionnaire a depuis peu là aussi décidé de renverser son discours en affirmant que « le Prunus est devenu un allié ».

https://www.onf.fr/onf/+/903::les-forets-du-compiegnois-lepreuve-du-climat-preparer-lavenir-ensemble.html

Comment se sortir d’un piège sans issue ? Par une pirouette intellectuelle.

Plutôt par un coup de poker ?

Que l’on continue d’enlever de grands arbres très riches de biodiversité qui ont mis plus de cent ans à pousser, pour laisser à leur place des friches envahies en cinq ans d’une végétation uniforme et très pauvre, ce ne sera pas une forêt que nous laisserons à nos enfants.

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