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L comme Loup

le loup, hier et aujourd’hui

Louis Graves, en 1855, écrit dans son « Précis du canton de Compiègne » : « Le loup commun, autrefois, attiré par le gibier des forêts qui lui fournissait une nourriture assurée, est devenu très rare depuis que la surveillance des bois s’est accrue, et qu’on a pu lui faire une guerre persévérante. On tua pendant les années 1816 et 1817 soixante loups ou louves dans les forêts de Compiègne et de Laigue. Il est vrai qu’à la suite des invasions, ces animaux effrayés avaient successivement passé les forêts d’Allemagne à celles de Belgique et de France. On n’en voit plus qu’accidentellement, lors des battues pratiquées vers les Ardennes ou dans le département de l’Aisne ».

La principale technique de chasse était le piégeage car le loup a toujours été considéré comme un nuisible. Par conséquent, la chasse n’a jamais été organisée pour la noblesse mais plutôt rémunérée aux petites gens capables de ramener un cadavre qui leur était payé quelques livres.

Le dernier loup a été officiellement abattu en 1848, il y a plus de 170 ans.

Pour le reste du passé du loup dans nos forêts, j’avais publié un papier sur le sujet en décembre 2018 dans l’indispensable Courrier Picard. L’essentiel y est et je ne vais donc pas me répéter ici.


Parlons plutôt d’aujourd’hui.

Vous êtes sûrement (j’espère) nombreux à avoir vu l’un ou l’autre, voire les deux, films de Jean-Michel Bertrand « La vallée des loups » (en 2017) ou très récemment « Marche avec les loups ». Ils sont très pédagogiques sur la vie sociale du loup et de la meute, sur les dispersions actuelles en France, toutes originaires des alpes italiennes, et sur les rapports compliqués qu’entretient avec l’Homme ce concurrent direct au titre de super-prédateur en haut de la pyramide alimentaire, en quête des mêmes proies à viande sur quatre pattes.

Si j’en parle ici, c’est qu’il explique bien que le loup européen est descendu depuis longtemps dans les vallées et les bosquets, dispersé par les jeunes, mâles et femelles, les plus motivés et ne pouvant lutter, compte tenu de leur manque d’expérience avec l’alpha, le-la dominant-e de la meute. Partis à l’aventure, ils sont capables de parcourir jusqu’à 100 kilomètres par jour, en quête de leurs deux objectifs vitaux : se nourrir juste pour survivre et se reproduire pour fonder à leur tour une meute.

Déjà largement identifié sur la plupart les côtes françaises puisqu’évidemment bloqués par la Méditerranée, l’Océan Atlantique et la Manche, il a donc tracé sa route en traversant des routes, des autoroutes, des ponts, des villages et des villes quand il n’y avait pas d’autre voie de passage. A ce titre, l’on sait avec certitude que les loups espagnols sont de souches italiennes, et certaines récentes !

Dans notre région picarde :

Le dernier signalement en date est très récent puisqu’un appareil photo automatique en a saisi un de façon non contestée (5 spécialistes l’ont validé à 95%, pour vous dire à quel point tout le monde est d’une extrême prudence) au nord de Neufchâtel en Bray, en Seine Maritime le 8 avril 2020.

En mai 2016, une observation est faite près d’Auteuil, au sud de Beauvais, puis de nouveau en mai 2017 dans le Vexin avant de disperser vers le sud (Lyons la foret) en janvier 2018.

En septembre 2017, un autre individu a été photographié et authentifié (photo+traces+test ADN sur des poils) près de Saint-Riquier à ouest de la Somme puis suivi vers la Seine Maritime où un regroupement intersexe est aujourd’hui probable sur une zone à cheval entre l’Oise, la Seine Maritime et la Somme, ce qui nous ramène vers la récente observation.

En novembre 2017, une prédation caractéristique est relevée dans l’Aisne près de Sisonne, à l’est de Laon.

Voici l’analyse du site de référence Observatoire du Loup sur les perspectives de dispersion actuelles dans l’Oise : « Le département de l’Oise est vraisemblablement exploré depuis la fin du printemps 2015. Le flux de dispersion s’est organisé à partir de la Seine et Marne ou le loup est présent dès 2015 et encore en place en 2017 tout comme en 2018. L’Oise connaît le même phénomène de dispersion que le département des Ardennes en 2014. Le loup qui déborde vraisemblablement sur le département voisin de Seine Maritime en 2018 est en train de constituer une zone vitale qui pourrait se positionner entre Beauvais et la forêt de Compiègne au nord et la frontière de l’Aisne à l’est. Le département du Val d’Oise a également été dispersé au printemps 2017 en particulier dans le secteur du Vexin. Les surfaces explorées sont de l’ordre de 400 000 ha entre avril 2015 et mars 2018, sur quatre départements: Seine et Marne, Oise, Val d’Oise et Seine Maritime. En 2018 le loup disperse sur un axe est-ouest qui s’étend de Rouen à Compiègne. Il pourrait s’installer dès 2020 à l’est du département de l’Oise. Le canidé est en train de s’installer en région parisienne. »

On y est donc bien. La question n’est donc plus de savoir si le loup est récemment passé en forêt de Compiègne, mais quand ?

La probabilité qu’il s’y installe est nulle car notre forêt est à a fois beaucoup trop fréquentée (et trop de routes dangereuses) et bien trop peu giboyeuse, deux conditions opposées à son installation. Mais des indices de passage existent forcément, alors comment les identifier ?

Il y a une chaîne de 5 signes distinctifs pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un chien errant ou d’un gros renard.

Ils sont classés par ordre d’évidence dans l’analyse :

  • la trace
  • l’excrément
  • la prédation
  • la vue directe
  • le hurlement

J’ai eu personnellement l’occasion d’être confronté aux 4 premiers indices, dans le Jura suisse (là exactement où se termine le récent film de JF Bertrand) et dans les Abruzzes italiennes. Les photos jointes sont localisées pour ne pas prêter à confusion.

la trace

Il n’y a rien qui ressemble plus à une trace de loup qu’une trace de … gros chien ; d’où le doute qui doit toujours prévaloir vers le chien en forêt quand vous voyez une trace de canidé au sol.

Ce qui devra immédiatement concentrer votre attention :

  • d’abord sa taille hors norme de 10 à 12 cms de long ; en dessous ce sera à 100% un chien.
  • la proportion du « plantaire », la partie centrale du pied à la base des 4 pelotes (la paume dirions-nous pour l’homme) qui fait entre 1/3 et la moitié de la longueur totale jusqu’au bout des griffes, plus que chez les chiens.
  • les 4 griffes qui sont droites et bien symétriques
  • la foulée, car le loup ne marche pas comme un chien proche de son maître, il « trotte » avec une foulée ample et un grand écart entre les traces, qu’il soit en dispersion ou en chasse (en fait toujours les deux à la fois). Il est aussi capable d’aligner les 4 pattes sur une seule ligne. Si les traces sont proches et non rectilignes, c’est un chien.
  • sa piste, car une caractéristique imparable la distingue du chien : le loup avance droit, toujours droit. Il ne fouine pas de gauche à droite en zigzag. Et donc idéalement, si le sol le permet, il faudra suivre sa trace (voir en photo la piste que j’ai suivie dans le Jura pendant des kilomètres dans la neige, ce qui est évidemment beaucoup plus facile).

l’excrément

Sa crotte est assez distinctive mais ce ne sera pas suffisant (j’en ai fait très récemment l’expérience ici en forêt). C’est un carnivore exclusif. Son excrément contient forcément beaucoup de poils et de tous petits os qu’il a broyé pour les avaler et qui n’ont pas eu le temps de se dissoudre à la digestion. Il la fait dans un endroit visible des autres animaux car c’est un marqueur. Il fait de même avec son urine très odorante. C’est un comportement d’espèce pour imposer sa présence face aux autres de son espèce, et qui sait d’un congénère du sexe opposé.

Je vous joins deux photos, une certaine de loup gris prise dans le jura suisse, et l’autre, incertaine (un renard ou un loup, seul l’ADN pourrait le dire) trouvée début mars en forêt et soumise à l’OFB (détails ci-dessous). Vous y verrez beaucoup de similitudes ; en autres la taille identique.

la prédation

Le loup est isolé, c’est son point faible comme chasseur quand il n’est pas en meute, et donc il ne se lance que sur des proies les plus faciles possibles (chevreuil, marcassin, mouton, lièvre, lapin, faisans …). S’il en vient à bout, il va se concentrer sur les meilleures parties et la viande, quitte à d’abord déposer l’estomac et les viscères.

Le loup déchire en général tout un coté de l’animal, arrachant le membre antérieur, les muscles dorsaux et du membre postérieur. Le dépeçage par un chien est moins méthodique.

Sauf à être affamé, il laissera la tête, le cou (avec des traces de morsure), les pattes aux autres animaux qui le suivent dans la chaîne alimentaire carnivore (renards, sangliers, rapaces, corbeaux).

Aucune prédation sans d’autres indices ne sera suffisante pour établir que le loup a été présent, voire est à l’origine de la mort de la proie.

la vue directe, ou la photo

Oubliez l’image magnifique du puissant loup arctique velu. Le loup européen a la taille et la silhouette du chien domestique. Il ne mange pas souvent à sa faim et n’a pas besoin d’un épais pelage hivernal, il peut donc être maigre.

Sa caractéristique majeure lors d’une observation visuelle est qu’il est extrêmement craintif et discret. Si vous le voyez, ce qui est rarissime, c’est qu’il ne vous a pas vu et cela ne durera jamais plus de quelques secondes, sans avoir le temps de le prendre en photo. A l’affût photo, la probabilité qu’il ai senti et repéré la cache du photographe sans même que vous vous en rendiez compte est de 99.9%. J’ai des amis spécialistes qui peuvent affûter plusieurs dizaines de fois sans aucune image, alors même que les indices justifient sa présence. Et c’est à l’instant où on s’y attend le moins que la magie peut opérer.

J’ai eu le privilège de voir au total 5 loups sauvages dans ma vie et ces instants resteront gravés à jamais, de même que le stress et l’émotion qui m’ont saisi sur l’instant. Inoubliable.

En photo, on lui reconnaîtra un port de dos descendant et une démarcation de couleur de pelage entre le dos et le ventre.

Mais il a y a eu tellement d’hybridation, dirigée ou sauvage, que reconnaître à coup sûr un Canis lupus italicus dans nos contrées à quasi impossible, à moins de cumuler tous les indices précédents.

Et c’est à ce stade que les ennuis commencent (voir plus bas …)

le hurlement

Il est beaucoup plus rare car lié à l’installation d’un loup isolé sur un territoire suffisamment sécurisé et nourrissant pour qu’il puisse passer à la 2ème partie du plan : attirer un congénère de l’autre sexe pour espérer fonder une meute.

Si, et seulement si, plusieurs des indices ci-dessous, sont évidents, il faut établir un signalement officiel auprès de l’OFB Office Français de la Biodiversité, nouveau nom de l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS) qui affichait ainsi plus clairement quel était son rôle, d’être la police de la chasse et en charge de la surveillance entre autres du Loup sur tout le territoire.

A ce jour la population française est estimée grâce à de nombreux réseaux (les naturalistes, les éleveurs et les chasseurs, chacun pour ses intérêts propres) à 500 individus environ. Mais les élus et les populations qui les élisent n’ont aucune envie de croiser des loups ou de se retrouver impliqué dans un « dossier loup ». Pourtant plus de 5000 confrontations hommes/loups sont documentées et aucune d’entre elles ne décrit une attaque vers l’Homme ; il est beaucoup trop craintif et intelligent pour cela.

Donc à l’OFB/ONCFS, on n’aime pas non plus le loup, car pour un signalement ce sont des tonnes de rapports à faire, des prélèvements ADN qui coûtent très cher, des nuits de surveillance souvent pour rien et, si le Préfet en décide, l’obligation de déclencher un « tir de défense renforcée ». 100 sont au programme des tireurs d’élite de l’OFB, la fameuse « brigade mobile d’intervention Loup » et gare à eux s’ils ne font pas leur objectif. Leur priorité est surtout de calmer les ardeurs des bergers et éleveurs victimes de prélèvements.

Pour un récent signalement très intéressant dans notre forêt, je les ai informés et ils se sont déplacés avec moi sur place, juste avant le confinement. J’ai pu ainsi confirmer cette opinion que c’était bien compliqué pour eux et que moins ils en entendraient parler, mieux ils se portaient.

Voici la situation « administrative » du département pour le moment :

60 OISE:

Pré-phase de dispersion (probable ou avérée) : 2014

Situation : Sous dispersion (phase d’installation)

Date de la première dispersion détectée : 2017

A/INST : Année d’installation (au plus tard) : 2018

N/DV : Nombre des domaines vitaux dans le département en 2020 : 2

GSR : Groupe susceptible de se reproduire en 2019 : 1

Effectif maximum retenu (sur les périodes étudiées) en 2020 : 3

Axe de dispersion détecté (orientation des azimuts) : est/ouest et sud/nord et ouest/est local, probable

Sous-espèce présente en 2020 : Italicus


En conclusion, si vous constatez quelque chose de compatible avec les indices de présence détaillés ci-dessus, je vous propose de :

ne rien toucher sur place de façon à ne « polluer » la scène,

prendre des photos de détail, mais aussi des photos d’environnement qui permettront de retrouver facilement la zone,

ne rien publier sur les réseaux sociaux tant que vous n’avez pas recueilli des avis compétents.

Si vous souhaitez m’en parler, contactez-moi en privé et je garderais tout cela confidentiel, le temps de nous assurer s’il est nécessaire d’informer l’OFB (l’ONF, la Gendarmerie et la Police n’auront pas d’autorité sur ce sujet et le reporteront aussi à l’OFB)

Enfin, pour en revenir à la toponomie du massif, vous y retrouverez bien plus facilement :

  • Cr des Loups, au nord des Beaux-Monts, tout près de la RN31
  • MF du Loup, au sud de La Croix Saint Ouen
  • Route du Loup, du Cr de la Basse Queue à la MF du Bac de La Croix
  • Trou à Loup, gorge du Mont Berny vers Roilaye
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