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H comme Hanneton

De son vrai nom, c’est le Melolontha hippocastani


C’est l’une des 10 calamités qui se cumulent pour agresser notre forêt.

Et en ce moment très particulier, c’est bien la pire de toutes ; et celle-là on a eu le temps de la voir venir puisque tout est en place depuis 4 ans, et la bombe vient d’exploser il y a quelques jours à peine.


Rentrons dans le dur :

C’est un gros coléoptère qui mesure 20 à 25 mm ;

C’est d’un brun rougeâtre et ça vole bruyamment en frottant les deux élytres rigides qui protègent ses ailes ;

C’est mignon, et c’est inoffensif pour l’Homme ;

C’est …

le hanneton forestier.

Mais c’est surtout l’un des prédateurs forestiers les plus terribles actuellement sur le Nord et l’Est de la France où l’on parle de « situation épidémique » (tiens donc, une autre).

Cet insecte de la famille des scarabéidés a un cycle de vie tout à fait spécial qu’il faut connaitre pour comprendre pourquoi nous sommes affolés de ce qui est en train de se passer ces jours-ci en forêt sans que nous ne puissions rien y faire.

Ce que nous pourrions voir presque partout, si on nous permettait d’aller prendre l’air en respectant naturellement les gestes barrières entre humains, ce sont des hannetons en vol. Mais pas des centaines, plutôt des milliers, voire des millions ; le comptage en étant impossible.


A cet état adulte, leur vie est extrêmement courte et ne dure que quelques semaines, un mois au maximum pour le « vol d’essaimage » pendant ce printemps 2020 posé sur nos calendriers depuis 2016, dernière « année de pullulation ».

Mâles et femelles viennent actuellement de sortir du sol sablonneux (75% du massif de Compiègne) où ils-elles ont grandi depuis près de 4 ans et cherchent à se nourrir et à se reproduire dans les plus brefs délais.
Toute cette population frénétique s’envole au crépuscule et se propage en véritables essaims de centaines voire milliers d’individus à la recherche de feuilles pour se nourrir et d’un individu de l’autre sexe pour s’accoupler.

Ces insectes adultes sont polyphages et mangent donc le feuillage de printemps tout autour d’eux, en particulier aux lisières des prairies et parcelles rasées, déjà fragilisées par le vent, le froid, le soleil et les intempéries.
Leur prédilection va, dans l’ordre décroissant, aux chênes, érables, charmes, hêtres, châtaigniers, marronniers, peupliers, bouleaux, noisetiers et mélèze ; bref tous les arbres endémiques de notre massif sont attaqués et défoliés.

L’impact sur l’arbre est tel que les années de pullulation sont repérables à l’œil nu sur les cernes d’accroissement de ces arbres.

Pourtant, courant mai, le sol sera jonché d’hannetons morts car aucun n’aura génétiquement survécu.

Les mâles n’ont qu’une fonction d’insémination.

Les femelles elles auront eu le temps qu’accomplir leur unique mission de pondre entre 25 et 40 œufs dans le sable très majoritaire de notre sol forestier, en particulier celui des parcelles récemment rasées où il est à nu, sans aucune gêne pour le vol et la pondaison, et prometteur de jeunes pousses nourricières pour les années à venir.

Car pendant près de 4 ans, les larves ne vont faire que se développer dans le sol sablonneux, à une profondeur entre 20 et 50 centimètres de la surface, en se nourrissant de tous les filaments racinaires qu’elles trouvent à proximité immédiate.

Là où cela devient un énorme problème, c’est qu’à cette profondeur se trouvent les racines de feuillus, hêtres et chênes en particulier, et résineux. Une fois agressées ainsi, les pousses meurent en une saison et laissent un cimetière de jeunes arbres morts.

La fameuse plante invasive que j’ai déjà souvent évoquée ici le Prunus serotina est, elle aussi, friande des terres ouvertes, prairies et parcelles fraîchement rasées et retournées mais à elle une racine latérale qui s’étend juste sous le sol, bien au-dessus des larves. Les deux prédateurs se trouvent donc parfaitement associés dans leur inexorable mission de destruction méthodique et aujourd’hui sans super-prédateur naturel.

Que faire pour les empêcher de procréer et de se développer ?

Tout usage de produits phytosanitaires chimiques étant à la fois proscrit et inutile, seuls des prédateurs animaux peuvent s’y intéresser mais aucun n’a prouvé son efficacité car sinon nous n’aurions pas ce problème.

En vol, certains chiroptères (chauves-souris) les apprécient mais il n’y en a bien trop peu dans un massif forestier aussi étendu que le nôtre, où leurs espaces de repos sont beaucoup trop rares (cavités minérales, charpentes bâties).
Quelques oiseaux n’y rechignent pas (pies, étourneaux) mais ce ne sont pas des oiseaux forestiers et ils ont déjà largement de quoi faire dans les prairies et les jardins (que ceux qui ont un jardin, le seul espace de liberté qu’il nous reste aujourd’hui, nous partagent ici comment ils font face à l’invasion)

Au sol, les sangliers et les renards eux aussi les apprécient mais ce n’est pas non plus leur activité principale d’aller retourner des mètres cubes de terre et creuser sur plusieurs dizaines de centimètres pour ne récolter que quelques larves au m2 (entre 4 et 10 en moyenne). Ces deux animaux forts utiles sont par ailleurs considérés comme des nuisibles et largement chassés, donc peu efficaces pour cette noble cause.

Dans le passé, au XIXème siècle, on trouve dans les régions agricoles où ces destructions étaient préjudiciables aux récoltes, des récits de “chasses au bâton” de plusieurs centaines de personnes les faisant tomber des feuillages et les ramassant à pleines poignées dans des sacs avant de les donner à manger aux cochons.

Les arbres sont donc là encore les victimes d’un fléau discret mais extrêmement efficace.

  1. « Et des complices : les hannetons »

Photo et lien vidéo BD

Mais cette complicité des hannetons ne doit pas être retenue à leur charge car ils sont présents en forêt de Compiègne depuis des siècles, bien avant le changement climatique dont ils n’ont que faire. Leur seule préoccupation : se nourrir de racines pour assurer leur croissance larvaire, ce qu’ils trouvent à profusion dans le sable meuble des parcelles rasées et qui plus est alimentées de nouveaux jeunes plants années après années, et se reproduire tous les quatre ans au printemps compte tenu de leur cycle biologique (ce que nous avons vécu au printemps 2020).

En quelques jours, ils sortent donc du sable et s’envolent par millions. Ils se gavent alors des feuilles naissantes à cette saison sur les mêmes feuillus en les stressant au point qu’ils réduisent leur croissance cette année-là et donc s’affaiblissent encore plus. Une fois accouplés, les mâles meurent en quelques heures et les femelles font de même après avoir pondu à nouveau leurs larves dans les zones ouvertes de la forêt.

Dans sa synthèse de six pages de l’envol de 2020 publiée le 25/02/2021, le gestionnaire fait aveu d’impuissance complète, à quantifier le phénomène, à établir des comparaisons entre 2016 et 2020, à mettre en place des mesures proportionnées d’ici le prochain envol qui aura lieu d’ores et déjà au printemps 2024.

Pourquoi ne trouve-t-on que très peu de hannetons sous les futaies, dans les taillis, sous les fougères et les ronciers, sur le col couvert d’une belle épaisseur de feuilles en décomposition ? Parce qu’il est beaucoup plus facile pour ces coléoptères maladroits de se poser ou de s’envoler sur des zones ouvertes où la nourriture abonde.  C’est la nature, pas besoin d’études pour le comprendre.

Les solutions sont pourtant simples : ne plus ouvrir le couvert forestier et laisser au sol le plus possible de taillis, de « strate arbustive », de ronces, de fougères, qui tous contrarient les envols et atterrissages de ponte des hannetons.

Et comme tout le monde sait aussi qu’une espèce animale ne s’installe et ne perdure que quand les conditions pour se nourrir et se reproduire sans danger sont maintenues, rêvons que les prédateurs naturels du hanneton, les chiroptères (chauves-souris), les hérissons, les taupes, les renards soient mieux tolérés voire enfin protégés car ils feraient pour nous l’essentiel du travail de régulation de l’espèce.
Pour ma part, cette année j’ai joué du bâton et ramassé quelques kilos ce printemps. Dommage que je n’ai pas de poules, elles se seraient régalées.

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