G comme Gallo-Romain
Comme chacun s’en souvient, Jules César a conquis la Gaule en ….. (réponse en bas d’article pour ceux et celles qui l’auraient oublié depuis le collège)
Et les romains y resteront jusqu’en … (là c’est costaud) l’avènement de Clovis, roi des Francs, en 481.
Pendant donc plus de 5 siècles, la culture et l’organisation romaine ont façonné la Gaule. Ce préambule permet de remettre ce qui suit en « perspective » de durée. Rien ne s’est fait en un jour…
Pour poser le décor localement, les historiens, archéologues et chercheurs s’accordent sur l’existence d’une centaine de sites gallo-romains en forêt de Compiègne datant tous du 1er au 3ème siècle de notre ère, pendant l’occupation romaine mais la quasi-totalité a aujourd’hui définitivement disparu et tous ont été largement fouillés, officiellement et clandestinement, depuis leur disparition provoquée par les invasions des francs mérovingiens au 5ème siècle de notre ère.
Pour découvrir aujourd’hui les quelques sites qui ont survécu, un axe est essentiel et c’est évidemment la Chaussée Brunehaut que tout le monde connait de nom, sans pour autant en connaitre forcément ni le tracé ni l’histoire (voir carte jointe issue de mon appli en cours de développement).
Cette dénomination n’a pas grand intérêt puisqu’il en existe de nombreuses autres, dans le nord de la France et en Belgique, dont les origines sont bien peu documentées et contradictoires. Son nom date en tous cas de l’époque mérovingienne (6 et 7ème siècle de notre ère, donc après l’occupation romaine), puisque la reine Brunehaut était l’épouse de Sigebert 1er, fils de Clovis et roi d’Austrasie (dont la capitale était Reims) mais elle n’a laissé aucune trace historique d’une quelconque action en faveur de la création d’un réseau routier dans son royaume. Encore une fois la légende prévaut sur l’histoire, en l’absence de preuves écrites.
Pour autant, cette route d’origine gauloise, qui ne s’appelait donc pas ainsi à son origine, a bel et bien été rectifiée par les ingénieurs romains, tracée comme à leur habitude aussi rectiligne que possible pour rejoindre sans délai Senlis (Augustomagus) à Soissons (Augusta Suessionum).
Première étape de notre périple, les ruines de Champlieu en territoire des gaulois Silvanectes, au sud de la forêt actuelle, sur la commune d’Orrouy. Certes, elles sont donc à l’extérieur du massif mais ne pas y passer quelques minutes au moins lors d’une ballade vers les Grueries ou les Grands Monts serait dommage.
Le site est ouvert librement à la visite et il ne sert donc à rien de le décrire ici. Une visite dans la salle qui lui est dédiée au Musée Vivenel sera également très instructive en complément.
Son histoire en tant que site archéologique mérite d’être mieux connue.
L’ensemble du site s’étendait sur 40 hectares jusqu’à la chapelle de Champlieu, dont il subsiste une ruine assez magique et mystérieuse, puisqu’on y a trouvé un cimetière antique. Les traces d’habitat gaulois les plus anciennes sont antérieures à l’installation des romains sur ces terres.
La construction de ce site important fût établie bien plus tard vers le 2ème siècle, bien longtemps après César.
C’est Viollet Le Duc (un V potentiel ?) qui en 1859 fit dégager de terre le théâtre (qui pouvait contenir 4000 spectateurs) à la demande de Napoléon III, passionné de l’époque gallo-romaine, puis l’archéologue Albert de Roucy dégagea les thermes en 1863.
De l’autre coté de la chaussée Brunehaut, les traces d’un temple subsistent au sol.
Le nom du compiégnois Albert de Roucy est moins célèbre mais il fût l’archéologue coordinateur de toutes les découvertes gallo-romaines de la forêt qu’il parcouru en tous sens de 1860 à 1870. En 1861 il fit un premier rapport détaillé et très prometteur à l’empereur Napoléon III. J’y ai relevé une paragraphe particulier « Quant à cette forêt de Compiègne, si vantée et si parcourue par les promeneurs et les touristes de nos jours, elle abrite de ses arbres séculaires et recouvre, sous les couches épaisses de leurs détritus (nb : il parle ici des feuillages, des branchages et de l’humus), des ruines antiques aussi multiplies qu’intéressantes. Il n’y a peut-être pas un de ses cantons qui n’en recèle quelque spécimen. »
Il faut lui associer pour mémoire (au bon sens du mot) le nom d’un autre historien gallo-romain essentiel, Victor Cauchemé, originaire de La Croix Saint Ouen et simple fils de cantonnier et de domestique, qui comme assistant de De Roucy fût le transcripteur parfait de toutes ces fouilles, autant par le texte que par le dessin. Il publia plusieurs recueils de toutes ces fouilles qui m’ont beaucoup servi ici (voir sources documentaires ci-dessous).
Orientée nord-est, la chaussée a aujourd’hui disparu dans la forêt jusqu’à son croisement avec la D332 (route de Crépy), non loin du Cr d’Angivillers. Elle continue à travers bois et on peut ici la suivre car elle est encore apparente, surélevée à travers la futaie.
Curiosité topographique : alors qu’il aurait suffi aux bâtisseurs romains de faire un arc de cercle de quelques centaines de mètres, en passant au sud de ce qui est Le Four d’en Haut, pour s’éviter de gros travaux, ils restent sur leur ligne droite et la chaussée plonge donc d’une trentaine de mètres de dénivelé, jusqu’au pied des Petits Monts vers Saint Nicolas de Courson (beaucoup plus récent, 9ème siècle) sur le Chemin du roi.
Au pied de cette descente, on arrive sur le second point d’intérêt remarquable du parcours, la Carrière du roi. Ici le terme de « roi » n’a rien à voir avec ceux dont j’ai déjà beaucoup parlé mais à l’évolution progressive du mot latin « redum » pour un proche village aujourd’hui disparu, ou de la forme gauloise « redo » pour un gué de passage.
Tout d’abord, au passage sur le chemin, on découvre sur la droite un spectaculaire canyon, un mur de pierre naturelle vertical où l’on peut voir encore des traces d’extraction de pierres de taille. Un de mes endroits préférés de la forêt, hors du temps et très peu connu. Toutes proches, de nombreuses excavations et bouts de murets retracent la présence de thermes antiques, retrouvés lors de fouilles complètes à partir de 1868 (toujours Napoléon III) voir documents joints. De nombreuses habitations et ateliers en étaient voisins, créant ainsi un « village remontant au 3ème siècle » sur environ 5 hectares, et abandonné au 5ème siècle face aux invasions des francs mérovingiens.
Après avoir tracé sa voie entre le Four d’en Haut, sur la droite à 135 mètres d’altitude, et St Nicolas de Courson, à gauche à 97 mètres d’altitude, la chaussée remonte tout droit dans une saignée de pente jusqu’à 130 mètres de haut au Cr du Change, puis vers le Cr du Bois de Damart. Elle continue de tracer toujours droit, en passant au long du Bois d’Haucourt jusqu’à plonger vers Pierrefonds par le Beaudon, à flanc de forêt, sur ce qui est aujourd’hui le Sentier du diable puis la Rue du Parc avant de remonter la Rue Melaine vers le canton de la Queue de Saint Etienne (sur la D335 en direction de Cuise la Motte).
Juste en haut de la côte, un chemin viabilisé part vers la droite. C’est là que ce situe un troisième et très important site archéologique, nommé la Ville des Gaules, sur le Mont-Berny.
Très étendu sur 50 hectares, il est surtout positionné à un endroit stratégique de la Chaussée Brunehaut puisque, là aussi pour une raison mystérieuse, les romains décidèrent de créer un angle presque droit vers l’est, en direction de Saint Etienne Roilaye. Il est donc probable que le village était préexistant et qu’il permettait compte tenu de son importance de créer une étape de repos à bonne distance entre Senlis et Soissons.
De Roucy décrit bien son exaltation pendant ses premières fouilles : « Les restes de construction que le moindre coup de pioche y rencontre, la nature des matériaux, les débris de vases dont le sol est parsemé, des médailles, des fibules, des ferrements de toute espèce témoignent assez que l’emplacement dont il s’agit a été occupé d’une façon continue ; d’autres signes de cendres, du bois carbonisé et bien d’autres traces de dévastation y signalent la violence et l’incendie comme les principales causes de destruction et de ruine. »
Les indices d’une première occupation gauloise puis d’une extension majeure pendant la domination romaine est donc commune aux différents sites.
On y trouve ici aussi des thermes à air chaud, un petit temple carré de 7.60m de coté, une sépulture, des nombreux habitats et ateliers, presque toujours avec une cave permettant de préserver à température égale les stocks vitaux, mais aussi plusieurs puits encore visibles, des traces de voies pavées avec écoulement des eaux de pluie.
Les lieux sont encore accessibles de nos jours mais ils méritent le plus grand respect.
Les traces d’habitat se retrouvent bien encore au sol, sous les mousses et les reprises d’arbres car depuis les plus récentes fouilles vers 1980, ces sites forestiers restent à l’abandon de l’Homme, aux seuls soins de la nature et du temps.
Pour conclure par un point de vue plus forestier, il est essentiel de savoir que cette voie romaine n’a jamais traversé en son temps quelque forêt (beaucoup trop dangereux et coûteux à entretenir) mais rien que des champs, des pâtures et des landes.
Mais il n’existe aucune carte qui soit à la fois aussi ancienne et fiable quant aux limites de la forêt à l’époque antique. Les premières sont du 17ème siècle et à cette époque les ruines gallo-romaines étaient abandonnées depuis longtemps, le plus souvent démontées pour en récupérer les pierres ou recouvertes de terre agricole.