B pour Beaux Monts
“Nos” Beaux-Monts, cette percée unique au Monde à laquelle tout Compiégnois est très attaché.
Il court tant que légendes et d’incertitudes à son endroit, que cela fait des années que je cherche à en percer les mystères, par mes lectures, par mes recherches sur internet et aux archives municipales, départementales et nationales, ainsi que par deux fois dans celles du Palais/Château.
Voici ce qui mérite d’être affirmé concernant nos Beaux-Monts, sous forme d’affirmations vraies ou fausses
- L’avenue des Beaux Monts a été percée en une nuit
FAUX
Qui pouvait croire cela ?
La coupe, le dessouchage intégral et l’aplanissage de cette surface boisée de 4 kms x 60 m (depuis la grille du Petit Parc), soit 24 hectares et donc des dizaines de milliers d’arbres, a en fait pris plus de 10 ans, de 1812 à 1823 et mobilisé au cumul des milliers d’hommes et des centaines d’animaux de trait pour extraire chaque mètre cube de bois, de branches et de racines.
Voir les cartes jointes de 1771 (avant) et 1820 (pendant)
Le chantier a été interrompu à plusieurs reprises mais on n’a retrouvé aucun registre précis des travaux, ni mentions du nombre de bûcherons, ni du nombre d’arbres exploités par ce chantier unique au monde.
Bien après le règne de Napoléon 1er (qui abdique le 22 juin 1815), la percée s’est donc obstinément poursuivie pendant tout le règne de Louis XVIII (1815/1824).
Malheureusement, à ce jour, aucun historien n’a pu documenter en détail cette aventure humaine incroyable, et je n’ai rien trouvé de plus dans mes propres recherches en archives, à part quelques allocations budgétaires pour la poursuite ou la reprise des travaux forestiers.
- L’avenue a été percée dans le plus grand secret et un ultime rideau d’arbres a été coupé dans la nuit pour que Napoléon 1er puisse en faire la surprise à la nouvelle impératrice Marie-Louise de Hasbourg-Lorraine qu’il vient d’épouser après le traité de paix conclu avec l’empereur d’Autriche au lendemain de sa victoire de Wagram.
FAUX
Napoléon 1er n’est venu que deux fois au château de Compiègne, la seconde et dernière en mars 1810 et c’est à cette occasion qu’il reprend totalement les plans proposés par l’architecte en chef Louis-Martin Berthault, que ce soit pour le Petit Parc, le Grand Parc, qu’il ordonne les plantations qui vont amener la forêt au plus près du Palais, qu’il ordonne la construction du « Berceau de l’Impératrice ».
Par conséquent lors de sa seconde et ultime venue avec Marie-Louise, rien n’existe ni n’est même décidé. Par conséquent, jamais ni elle ni lui n’ont vu de leurs yeux la percée des Beaux Monts.
Le plan final est approuvé par Napoléon 1er en décembre 1811 et les travaux commencent dès 1812.
- L’avenue des Beaux Monts va du Palais au sommet des Beaux Monts
FAUX, DOUBLEMENT
Au sens strict, ce que nous appelons aujourd’hui l’allée des Beaux-Monts part de la grille du Petit Parc et va jusqu’au fond de l’esplanade du Carrefour du Belvédère des Beaux Monts, soit 4 kilomètres environ.
Si l’on ajoute la distance entre les marches du palais et la grille du Petit Parc, il faut y ajouter 700 mètres ; puis encore y ajouter 1700 mètres pour aller jusqu’aux grilles du Grand Parc, au-delà de la maison forestière de la grille des Beaux Monts, devant la route tournante (goudronnée) du Grand Parc. Le Petit Parc, d’une superficie de 200 hectares, est traversé par une allée engazonnée à partir de 1808, après la première venue de Napoléon 1er et sur ses ordres. C’est l’ « allée Napoléon ».
Le Grand Parc, d’une superficie de plus de 700 hectares, a été planté d’arbres par la main de l’homme à partir de 1810 pour rapprocher la forêt du Palais. L’allée Napoléon est naturellement prolongée dans le Grand Parc, mais sans être engazonnée.
Il est alors décidé de prolonger l’allée par une percée parfaitement rectiligne de 180 pieds de large, très exactement dans l’axe perpendiculaire exact des fenêtres des salons d’honneur du Palais jusqu’au Belvédère qui culmine à 121 mètres. A cet endroit devait être construit un temple à la gloire de l’Empereur (« temple d’Iéna » ou « temple de la Victoire »), ce qui aurait rappelé à l’impératrice Marie-Louise la perspective celle de son château autrichien de Schönbrunn (voir illustration jointe), près de Vienne.
Ce point de vue n’est pourtant pas le sommet du Mont (131 mètres) qui est situé plus à gauche, sur la route tournante (goudronnée) qui mène au cèdre du Liban, au Carrefour du même nom, nommé justement « cèdre Marie-Louise » puisque planté en 1810 en son honneur.
La route tournante n’est ouverte qu’en 1847, sous Louis-Philippe, du Carrefour du Tréan jusqu’au Belvédère. L’autre partie de la route qui la prolonge vers le cèdre Marie Louise puis redescend vers l’Ortille par le Carrefour du Port Caborne est beaucoup plus récente (1970, creusée par le régiment du génie de l’Air de Compiègne, d’où le nom du carrefour à mi-parcours).
Dès son accession au pouvoir en 1853, Napoléon III décide de faire de la forêt de Compiègne un immense espace de villégiature pour sa cour et l’aristocratie européenne (réhabilitation du château de Pierrefonds, création du Pavillon Eugénie sur la route du même nom entre Vieux Moulin et Pierrefonds, organisation de grandes festivités autour du Palais et de la forêt, les « séries de Compiègne »).
Pour cela, il ordonne la prolongation de la percée des Beaux Monts jusqu’au Vivier du Frère Robert. Il fait également prolonger la route tournante jusqu’à Pierrefonds, ce qui est aujourd’hui la Route Eugénie qui permet de se rendre directement en calèche du château de Compiègne à celui de Pierrefonds, en passant par sa halte de chasse préférée, le pavillon Eugénie devant les étangs de Saint-Pierre.
Ce projet n’a pas été mené à son terme et aujourd’hui la forêt a reconquis la surface.
- Il y a 4 poteaux de carrefour sur l’avenue
VRAI
Il faut un peu de vrai quand même. Et ce sont les :
- Cr Demorlaine
- Cr Amélie
- Cr Du Tréan
- Cr du Belvédère des Beaux Monts
- Les Beaux Monts sont un espace protégé
VRAI ET FAUX
Les Beaux Monts, avec le Mont du Tremble son voisin (129m), sont un ensemble géologique bien antérieur à l’homme, typique du cuisien très sablonneux.
Dans son réaménagement de la forêt de Compiègne, Napoléon III protège les Beaux Monts en instituant une « série paysagère » de 108 hectares dont la règle est que les arbres devaient y rester debout jusqu’à leur mort.
Aujourd’hui ce périmètre est protégé au titre de « Réserve de Biodiversité Intégrale » (voir Question sur le sujet) sur 130 hectares avec une collection unique de presque 1000 chênes quadricentenaires, c’est-à-dire contemporains d’Henri IV ou de Louis XIII.
Les arbres les plus remarquables sont :
- le cèdre Marie Louise, planté en 1810
- les quatre pins Laricio greffés, même si l’un est tombé il y a deux ans lors d’un coup de vent (le panneau pédagogique est donc désormais juste car il y en avait 5, et même 6 avec un petit bien caché près du sentier tournant)
- le chêne de l’Entente, qui a perdu une grosse branche charpentière en 2019 (anciennement chêne de la Tsarine)
- le chêne Couttolenc et son tronc droit comme un I (400 ans environ)
- le chêne du point de vue des Beaux Monts, qui lui aussi a perdu une de ses plus grosses branches
- le chêne du Tréan, au bord de l’allée vers le Cr des Jeux
- le hêtre pyramidal, près du Cr du Port Caborne
- le fau de Verzy, devant la maison forestière de Saint-Corneille
Sur leurs pentes se concentre donc une biodiversité végétale exceptionnelle qui n’est malheureusement pas du tout épargnée par les activités humaines dans cet espace très apprécié de tous les compiégnois. Les coups de vents, les coupes dites de « sécurisation », le passage permanent des vététistes, des marcheurs, des familles, l’abandon des déchets de pique-nique et tous autres sont autant d’attaques frontales sur cet environnement extrêmement fragile.
Le comité de gestion du site réunissant élus, associations, experts naturalistes, acteurs du tourisme, services du département et de l’agglomération ne s’est réuni qu’une fois en février 2018 pour en fixer les règles de protection et d’accessibilité sur les chemins balisés (voire carte jointe). Il serait temps qu’il se réunisse à nouveau pour prendre en compte l’évolution très rapide des contraintes environnementales et de nous assurer que rien ni personne ne viendra toucher à l’ADN de notre forêt, cet endroit magique que nous aimons tant.
Par ailleurs, dans cette vague notion de « patrimoine » appelée ici à la rescousse, il en est une ignorée par l’article, la plus essentielle pour les compiégnois et les habitants des 19 communes qui entourent les deux massifs (Compiègne et Laigue) : celle du patrimoine historique.
Aujourd’hui couper un chêne ou un hêtre centenaire, ou bien plus, c’est démonter arbre par arbre un des plus beaux édifices que la nature et l’homme ont pourtant mis toutes leurs énergies à construire là aussi pendant des siècles, une « forêt cathédrale » à la futaie exceptionnelle en Europe où chaque carrefour, chaque allée a vu passer des rois comme des tâcherons miséreux, tous réunis en forêt pour sa diversité et son cadre unique.
La zone des Beaux-Monts est d’une importance à la fois historique et écologique UNIQUE AU MONDE. Et pourtant, à part une vague désignation de Zone de Biodiversité Dirigée dont personne ne sait vraiment si elle est « officielle » à ce jour (les avis autorisés sont contradictoires sur ce point) et surtout qu’elle ne la protège pas de la coupe quel qu’en soit le motif « sanitaire », « de sécurisation » ou « d’exploitation », toujours faite sans aucun avis scientifique ou biologique indépendant.